D’oppositions bon enfant, on est passé aujourd’hui à de véritables conflits qui dégénèrent à la moindre défaillance. Le phénomène des ultras et des groupes des supporters s’est rapidement développé en Tunisie pour inspirer les supporters de tous les clubs. Plus grave encore : la culture «Ultras» est assimilée au hooliganisme et donne une image négative et sans nuances, véhiculée partout. Les ultras ne sont pas une catégorie de supporters parmi d’autres. Ils se caractérisent aussi par un mode de vie et une sous-culture qui s’exprime sous différentes formes, et pas uniquement le jour du match. Au début, ils étaient affiliés en «fans officiels». Ils représentaient les grands clubs. «Lemkachkhines», créés en 2002 à l’Espérance, et qui signifient les plus souriants, vu les résultats de l’équipe en cette époque. Ils étaient inspirés par le «Commando Ultra Curva» Sud de la Roma, dont ils ont d’ailleurs adopté le symbole. Au Club Africain, c’était un peu plus compliqué et davantage diversifié. Mais l’idée n’était pas moins innovante : rassembler les supporters autour du club. Il y eut ainsi la «Curva Nord», les «Africans Winners», «Leaders Clubistes», «Los Barrachos», «North Vandals», «Dodgers Clubistes», «Chicos Latinos». A Sousse, la connotation était autre et d’inspiration historique: «Brigades Rouges». A Sfax, on avait opté pour les «Fighters», en référence à la Juventus qui porte le même maillot que le CSS. Peu à peu, le mouvement s’est diffusé dans les autres clubs. Les «Bardo Boys» au Stade Tunisien, ou les «Vikings» à l’ES Zarzis. Partout, les petits groupes de supporters prenaient place et commençaient à s’assumer en tant que tels.
Perçu comme constructif, rassembleur, voire fédérateur, le mouvement «Ultra» tunisien a pris cependant et au fil du temps un tournant grave. Des débordements de tous genres et des actes de violence ont fini par donner une image négative du supporter et de son rôle dans les gradins et surtout dans les virages, mais aussi le sentiment de l’impunité. On serait même passé à de véritables conflits et à une radicalisation des rivalités dans le sport tunisien. Les «Ultras» préconisent de plus en plus un comportement particulier, turbulent, qui valorise l’engagement intense, voire la conflictualité à toute épreuve. Et même s’ils ne préconisent pas ouvertement la violence, ils en font carrément usage. Moins prévisibles, ils sont également moins contrôlables que les associations traditionnelles.
A travers tout cela, l’on réalise que le stade, les salles de sport ne sont plus uniquement un lieu de communion, mais également un espace de différenciations où s’expriment des clivages socioculturels. Ainsi, le sport, en tant que spectacle, fait appel aujourd’hui à des alliances et des oppositions subtilement combinées qui donnent, certes l’image de l’union, mais surtout de la division. Cela ne reflète-t-il pas au fait la conséquence d’un contexte et d’une situation sociale bien particulière?
La rivalité sportive n’explique pas tout. D’ailleurs les études réalisées sur les ultras démontrent qu’ils représentent assez bien la composition sociologique des villes et de l’équipe qu’ils soutiennent. Il s’agit bien d’une spécificité sportive, liée à un spectacle qui draine le plus grand nombre d’individus issus des milieux populaires, lesquels impriment forcément leur marque à l’atmosphère qui règne le jour du match. En plus de la revendication d’indépendance, ils cherchent aussi et surtout une forme de reconnaissance. Pour ceux qui se présentent en tant que tel, être Ultra est une part essentielle de leur identité qui tient une grande place dans leur vie quotidienne; laquelle tourne autour du groupe dont ils sont membres et de leur attachement, devenu aujourd’hui irrationnel, à leur club. Un attachement qui va jusqu’à l’identification. Ils ne se voient pas seulement et simplement comme animateurs de tribunes et des virages, mais ils tiennent aussi à développer une vision critique sur tout ce qui se passe, pas seulement dans le sport, mais aussi dans ce qui touche à leur quotidien. Chez les nations qui ont une tradition sportive bien ancrée, la structure et l’image des lieux des compétions sportives se sont largement modifiées : des tribunes spécialement aménagées pour éviter les confrontations entre les supporters, une médiatisation rationnelle et une juvénilisation du spectacle «sportif » qui favorisent une ambiance particulière destinée notamment à faire face au supportérisme radical.
Avant-hier à Radès, et en dépit de la fouille minutieuse des supporters, une grande quantité de flammes, notamment, dites «parachutes», a été introduite dans la salle. Tout cela outre le jet de projectiles sur le parquet, ce qui n’a pas manqué d’instaurer un climat de tension dans l’enceinte de la salle et ayant surtout conduit à un échange de violence entre les joueurs et les dirigeants.La qualification et le terme «Ultra» auraient certainement une connotation péjorative pour la plupart de ceux qui ne connaissent pas bien cette culture. Mais en même temps, il est indéniable que des groupes de supporters soient impliqués de près ou de loin dans des épisodes de grande violence, une gangrène qui n’a aucune justification et qu’il faut impérativement soigner.